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avantage qu’il nous semble impossible de contester, n’était pas possible avec la forme du drame subie par Shakespeare, et c’est encore là une de ces circonstances dont nous ne voulons pas arguer. Du temps de Shakespeare, l’idée du roman, du moins comme on le conçoit dans les temps modernes, n’existait pas, et elle aurait existé d’ailleurs qu’elle ne pouvait venir à Shakespeare, qui n’a peut-être pensé à faire des drames que parce qu’il était comédien. Mais, quoi qu’il en fût, il n’en est pas moins vrai que le roman, de sa nature, est supérieur au drame, et qu’il exige, par conséquent, dans celui qui l’écrit, des aptitudes et des puissances que le drame ne saurait exiger. Le drame, c’est une action de la vie, représentée pour l’esprit en passant par les yeux. C’est par le dehors qu’il éclaire l’homme. Le roman, au contraire, c’est pour l’esprit la vie même, la vie tout entière, éclairée par le rayon qui vient du dedans, des abîmes de la conscience et de la pensée. Par cela même que le drame n’est qu’une action pour les yeux, il se passe nécessairement des deux choses les plus difficiles : l’analyse et la description, — l’analyse qui va chercher la conscience derrière la vie, et la description qui oblige l’écrivain à devenir tout à coup un peintre, à changer sa plume en pinceau.

À égalité d’imagination dans la conception des caractères, dans la bonne fortune des situations et le pathétique des sentiments et du style, deux hommes