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richi, dans une indifférence de son théâtre, de ses œuvres et des choses du génie qu’il m’est impossible d’admirer, et qui me l’éteint et même me le dégrade un peu, le grand Shakespeare, aplati et caché dans le cocon de son existence de petite ville comme, dans le leur, les vers à soie de ce mûrier qu’il avait planté !

Et cette résistance, cette infatigabilité dans Balzac, qui meurt seulement de la vie, sur le devis magnifique d’un monument poussé aux trois quarts de son étendue et de sa hauteur, à l’âge où Shakespeare donne la démission de son génie, ne sont pas les seules marques par lesquelles Balzac peut être reconnu pour le moins égal en imagination à Shakespeare ; — et l’on a vu tout ce que cette imagination comporte ! Il en est d’autres qu’il faut rappeler, dans le rapprochement que nous faisons de ces deux grands hommes, et qui ressortent de cette idée d’ensemble que Balzac s’était imposée comme le gouvernement de son action intellectuelle. Balzac avait un plan plus grand peut-être que le génie d’un homme, ou tout au moins que sa vie. Shakespeare n’avait, lui, que des impressions auxquelles il obéissait. Il était touché, il était frappé par de grands sujets à mettre en drames, et il leur rendait le coup qu’il en avait reçu, en les y mettant avec une magistralité souveraine. Seulement, le drame fini, tout était fini, jusqu’à l’impression prochaine ! Shakespeare ne se ravivait pas aux sources d’une idée. Il ne décuplait pas son énergie en la concentrant