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qui n’a que vingt-quatre lettres mais qui peuvent se combiner de tant de manières que l’imagination en est tout à la fois ravie et épouvantée, Balzac, venu après Shakespeare, a pu, en la maniant, cette nature humaine, — et c’est là ce qui prouve qu’il avait un génie égal à celui de son devancier, — être aussi neuf que Shakespeare.

Comptez ses types et ses caractères, — et leur énumération, si nous la faisions, couvrirait ce chapitre tout entier ! — puis rangez-les vis-à-vis des types et des caractères de Shakespeare, et osez dire quels sont les plus vrais, les plus beaux, les plus éclatants, les plus profonds ! Le grand dramaturge anglais, qui n’avait pas de plan comme le romancier français, pas de monument dans la tête dont à l’avance il eût mesuré toutes les faces, comédien, bohémien, despotisé perpétuellement par la circonstance, écrivant à la diable ses sublimités, n’avait jamais songé à faire défiler dans son Théâtre les trois mille types auxquels avait pensé l’auteur de la Comédie humaine, et dont il a réalisé une assez grande partie pour l’emporter sur le nombre et sur la variété des types de l’œuvre de Shakespeare. Cette variété et ce nombre qu’on peut constater dans l’œuvre de Balzac, s’attestent surtout dans les caractères de ses femmes.

En effet, à cela près de quelques créatures exceptionnelles d’une passion dépravante et monstrueuse comme lady Macbeth, Marguerite d’Anjou, Gonerill