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sortir de cette observation Shakespeare tout entier, que vous l’expliquerez par cette faculté seule dans sa supériorité absolue et dans ses imperfections relatives. Eh bien, cette faculté est aussi la caractéristique du génie de Balzac ! Balzac la possède aussi complète… moins spontanée peut-être, et encore je n’en suis pas bien sûr ! Nous connaissons la vie de Balzac. Nous savons qu’il a commencé par se vider, dans les plus mauvais livres d’une époque féconde en mauvais livres, d’une gourme de médiocrité sous laquelle il fallait avoir le génie qu’il avait pour ne pas mourir étouffé… et que, malgré cette espèce de purgation à laquelle il doit la beauté et la force de son génie, malgré les facilités extérieures et mystérieuses du talent, qui ne sont peut-être au fond que des difficultés secrètes, il lui était resté un peu de ce style raboteux en écailles d’huître dont parle quelque part le marquis de Mirabeau, un grand écrivain qui l’avait aussi.

Or, ce que nous savons si bien de Balzac, nous l’ignorons profondément de Shakespeare, qui a sur sa vie intellectuelle et sa manière de travailler le brouillard que l’Angleterre a sur ses dunes. Et néanmoins pour qui le lit, et ne le lit pas avec le bandeau de l’amour, je ne dirai point bête, mais trop spirituel, sur les yeux, il est aisé de reconnaître qu’il y a dans Shakespeare — dans le grand Shakespeare ! — de rudes pages à avaler, même pour les mangeurs de ca-