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peare, puisqu’il vient après, avec des facultés égales… J’ose dire : pour le moins égales, et cependant, plutôt qued’en convenir, ces progressifs, à qui des contemporains de cette grandeur sont désagréables, nieront absolument cette égalité — (j’ai dit : pour le moins !) — de facultés que je crois voir, à travers leurs œuvres, entre l’auteur de la Comédie humaine et le roi du théâtre anglais. C’est donc ces facultés qu’il faudrait prouver.

Un homme qu’on ne récusera pas, j’espère, et d’autant plus qu’il a pour l’heure en poupe ce petit vent du succès qui pousse si bien les opinions d’un homme en France où tout le monde se courbe avec souplesse sous ce petit vent, un écrivain qui d’ailleurs a très bien parlé de Shakespeare sans se croire Shakespeare, ce qui trouble l’œil, Taine, nous dit avec beaucoup de justesse, dans son Histoire de la Littérature anglaise, que la maîtresse faculté de l’esprit de Shakespeare, cette maîtresse faculté qui est en nous dès que nous sommes quelque chose, était ce genre d’imagination toute-puissante qui se souvient avec autant de force qu’elle invente, et qui, passionnée et inépuisable, s’exaspère au lieu de s’affaiblir quand elle s’exprime, ce qui explique les fautes de goût et les manques d’harmonie que reprochent à Shakespeare les esprits équilibrés et froids.

Tel est, selon Taine, la caractéristique du génie de Shakespeare, et cela est si vrai que vous pouvez faire