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naturelle, au pointillé, dans lesquels rien ne se fond et où tout se détache. Certes, pour peindre ainsi, il faut une main dont on soit sûr, mais la largeur vaut mieux que la finesse. Tant de subtiles observations finissent par donner des bluettes ! La lumière se met à papilloter sur toutes ces nervures inutiles, sur tous ces linéaments rendus perceptibles et heurtants par le relief trop marqué du dessin, comme elle papillote intersectée par les angles des pierres précieuses et nous éblouit. Un détail aussi enragé détruit l’effet même projeté par l’écrivain. Que M. Flaubert prenne garde à cela ! Il a peut-être un superbe avenir [1], mais son succès d’aujourd’hui force la

  1. L’avenir que j’aimais à prévoir pour M. Gustave Flaubert n’est pas venu. Après des années d’études à se blanchir et d’efforts à se rompre, l’auteur de Madame Bovary n’a pu produire que Salammbô, — un livre très-difficile à classer, car ce n’est ni un roman, ni une histoire. Salammbô, — pour laquelle les amis de l’auteur ont tiré tellement les cordes de toutes les grosses cloches qu’ils les ont cassées et qu’elles ne sonnent plus, — Salammbô est tombée définitivement dans le plus juste oubli. Elle y a rejoint les Incas : deux livres du même genre, avec les différences de siècle. Il y a si peu du Gustave Flaubert de Madame Bovary en Salammbô, que je le tiens pour mort, et, par conséquent, à moins de miracle, dans l’impossibilité de renaître. Les procédés habituels d’un écrivain donnent la nature de son esprit. Ceux de M. Flaubert, — de ce peintre au poinçon, — sont si secs, qu’on en déduit sans étonnement l’aridité foncière d’un homme qui n’a plus rien à dire de vivant et d’observé après Madame Bovary, — probablement un souvenir personnel. Je lui demande bien pardon de la brutalité du terme : M. Flaubert m’a fait l’effet de n’avoir plus rien dans le ventre. Il y a deux sortes d’esprits : les Intuitifs, les Divinateurs, les Inventeurs qui, dans un fond de sac, inventeraient, devineraient, et verraient, et les Descripteurs, pour lesquels il faut que la vie vienne en aide à la pensée et qui, sans de certaines rencontres d’événements et de personnes, n’auraient pas une idée à leur service… M. Gustave Flaubert serait-il parmi ces derniers ? — Je le crains.