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individualité comme toutes celles que M. Flaubert a groupées autour de l’officier de santé et de sa femme, nous disons que ce n’est pas peindre au point de vue de l’art une société, que de répercuter sous tous les costumes le même imbécile, et qu’il y a encore là absence de cette puissante variété que les grands romanciers doivent faire abonder dans leurs œuvres.

Quant au style par lequel on est peintre, par lequel on vit dans la mémoire des hommes, celui de Madame Bovary est d’un artiste littéraire qui a sa langue à lui, colorée, brillante, étincelante et d’une précision presque scientifique. Nous avons dit plus haut que M. Flaubert avait une plume de pierre. Cette pierre est souvent du diamant ; mais du diamant, malgré son éclat, c’est dur et monotone, quand il s’agit des nuances spirituelles de l’écrivain. M. Flaubert n’a point de spiritualité. Il doit être un matérialiste de doctrine comme il l’est de style, car une telle nature ne saurait être inconséquente. Elle a été coulée d’un seul jet comme une glace de Venise. Ce que M. Flaubert est quelque part, il l’est partout. Son style a, comme son observation, le sentiment le plus étonnant du détail, mais de ce détail menu, imperceptible, que tout le monde oublie, et qu’il aperçoit, lui, par une singulière conformation microscopique de son œil. Cet homme, qui voit comme un lynx dans l’âme ombrée de sa madame Bovary, et qui nous fait le compte des taches qui bleuissent ici, noircissent là, cette belle pêche tombée, aux velours menteurs, est un entomologiste de style qui décrirait des éléphants comme il décrirait des insectes. Il fait des tableaux de grandeur