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Gustave Flaubert est la Mme Bovary de son livre. Il est à sa singulière héroïne ce qu’elle-même est à son enfant. Dira-t-on que c’est là une puissance ? Nous croyons que c’est une pauvreté.

Tel est le défaut radical d’un ouvrage qui se recommande par des qualités d’une grande force, mais que la critique devait signaler tout d’abord, avant tout détail et toute analyse, parce que ce défaut affecte l’ensemble et le fond du livre même, — parce que cette indigence de sensibilité, d’imagination, et je dirai plus, de sens moral et poétique, se retrouve à toute page et frappe l’œuvre entière de M. Flaubert d’une épouvantable sécheresse. Pour notre compte, nous ne connaissons pas de composition littéraire d’un talent plus vrai et qui soit en même temps plus dénuée d’enthousiasme, plus vide de cœur ; d’un sang-froid plus cruel. Excepté un pli d’ironie qu’on croit entrevoir, — en est-on même bien sûr ? — autour de la pensée du romancier et presque toujours au moment où on le voudrait sérieux et sincère, — par exemple, quand il s’agit des détails de l’éducation religieuse de sa Mme Bovary, l’ouvrage n’offre à l’esprit qu’une aridité désolante, malgré le vif de sa douleur et de son style. L’intérêt qu’on prend à sa lecture est l’intérêt d’une curiosité poignante et bientôt satisfaite ; mais le charme qui fait revenir au souvenir du livre par la rêverie, le charme qui est le propre de l’art, même dans ses compositions les plus terribles, l’homme de talent qui a écrit Madame Bovary n’en a point la sorcellerie suprême. L’aura-t-il un jour ?… On dit M. Gustave Flaubert dans le milieu de la vie, A la vigueur de son observation,