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absolument comme M. Flaubert. On sentirait dans ces machines autant de vie, d’âme, d’entrailles humaines que dans l’homme de marbre qui a écrit Madame Bovary avec une plume de pierre, comme le couteau des sauvages.

A coup sûr, M. Gustave Flaubert est trop intelligent pour n’avoir pas en lui les notions affermies du bien et du mal ; mais il les invoque si peu qu’on est tenté de croire qu’il ne les a pas, et voilà pourquoi, à la première lecture de son livre, a retenti si haut ce grand cri d’immoralité qui, au fond, était une calomnie. Non, l’auteur de Madame Bovary n’était point immoral. Il n’était qu’insensible… Originalité très-particulière ! Il est des romanciers qui aiment leurs héros, qui les exaltent, qui les justifient ou les plaignent. Il en est d’autres qui les détestent, qui les condamnent ou les maudissent, et c’est encore une manière de les aimer. Mais tous ou presque tous s’animent devant les types qu’ils ont créés. Il répugne à la nature de l’homme d’avoir un sujet dans les mains sans se passionner pour ou contre. Mais M. Flaubert échappe à cette coutume qui semble une loi de l’esprit humain. Jeune encore pour tant de froideur, il débute comme le vieux Gœthe finissait. Il prouve qu’on peut étreindre un type dans sa pensée, le porter des années peut-être dans cette cohabitation intellectuelle qui embrase la plupart des esprits, puis le laisser choir de son cerveau, organisé, vivant, sans avoir été ému une seule fois de la nature qu’on lui a donnée ou de la destinée qu’on lui a faite. La Madame Bovary du roman manque du sentiment maternel, et c’est un des caractères de son type. Eh bien ! M.