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ses livres, on se demande ce qu’il eût été, ce Stendhal-Beyle, s’il avait été spiritualiste et chrétien, c’est-à-dire ce qu’aucune intelligence moderne, ce qu’aucun esprit de ce côté du temps ne peut se dispenser d’être, sans, à l’instant même, se rompre en plus ou en moins, se dessécher, se rabougrir. Si un homme de la hauteur de Gœthe, en se faisant païen, comme il le devint sur ses derniers jours, a, pour tous ceux qui ne mesurent pas la grandeur du génie à son ombre, diminué la portée comme la chaleur de ses rayons, on peut s’interroger sur ce que doit produire un système d’idées, comme le matérialisme de Stendhal, sur des facultés moins nombreuses, moins enflammées et moins opulentes ! Au moins, Gœthe avait été chrétien ; il avait été l’auteur du Faust et du D’Egmont, et, quand le christianisme a passé par un génie, c’est comme l’amour quand il a a passé par un cœur : il en reste toujours quelque chose. De plus, le paganisme de Gœthe s’appuyait encore à quelque chose de spirituel, à ce panthéisme qui peut tenter les poëtes, et qui est comme la spiritualisation de la matière ! Mais le matérialisme raccourci et brute de d’Holbach, d’Helvétius, de Cabanis, que peut-il pour le génie d’un homme ? Stendhal, nous l’avons constaté, avait le don de la force, et d’une force que rien n’a pu énerver ; mais cette force a manqué souvent de douceur, de liant, de tendresse, de largeur, de plénitude. Ce n’était pas une négation qui pouvait l’élargir, lui ouvrir les entrailles, lui verser la vie ! Plus que personne, Stendhal avait besoin qu’une grande et généreuse doctrine ajoutât à ses facultés et les étoffât.