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ce que nous pourrions ajouter, le caractère de Stendhal et la solidité du métal qu’il avait sous la peau. C’était dans l’épouvantable campagne de Moscou, lorsque les hommes les plus vaillants et les mieux trempés étaient non plus abattus, mais comme dissous par la misère, le froid et la faim, et que l’armée était en proie à cette démoralisation contagieuse, qui est le désespoir des grandes masses, et qui les suicide. Stendhal, un jour, aux environs de la Bérésina, se présenta devant son chef, M. Daru, l’intendant général, rasé et habillé avec la recherche qu’il aurait eue à Paris. « Vous êtes un homme de cœur, lui dit M. Daru, frappé d’un détail qui aurait frappé aussi Napoléon, car il révélait l’homme tout entier qu’était Stendhal ; et, en effet, à part la petite terreur d’être dupe, rapportée des salons, et que lui a reprochée si spirituellement M. Sainte-Beuve, il garda toujours inaltérables, dans toutes les positions et dans tous les dangers, sa bonne humeur et son sang-froid. L’année qui précéda celle de sa mort fut marquée par des symptômes de destruction prochaine, qu’il analysa dans ses lettres à ses amis, et dont il parla comme aurait fait Broussais, — un autre homme de grand talent et de grand caractère, qui trouva dans l’immonde et fausse philosophie du XVIIIe siècle la borne et l’obstacle de son génie scientifique, comme Stendhal, ce grand artiste d’observation et ce grand observateur dans les arts, y trouva la borne et l’obstacle du sien.

Car on se demande, en lisant ces lettres, dont quelques-unes valent en critique ce que leur auteur a jamais écrit de plus profond et de plus piquant dans