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la cime que les sociétés commencent de mourir. Du reste, cette force dans le talent qui distingue Stendhal, il l’avait dans l’âme, et la Correspondance qu’on publie montre combien son caractère rayonnait dans le même sens que son esprit. Elle confirme par les confidences de l’intimité ce que les écrits de l’auteur nous avaient appris, c’est que toute sa vie Stendhal fit une guerre, publique ou privée, à la puissance que les faibles adorent, à l’Opinion. L’Opinion en toutes choses, Stendhal, qui n’avait pas cent mille livres de rentes pour se mettre sans danger au-dessus d’elle, l’a courageusement méprisée ou combattue, souvent à tort, parfois avec raison, mais toujours sans en avoir peur. Il la méprisa dans les arts, dans la politique, dans les lettres, dans la morale chrétienne, que cet athée ne comprit pas, aveuglé qu’il était par son athéisme, le crime irrémissible de son esprit. Ses lettres prouvent, par ce qu’elles contiennent, que l’audacieux et impassible historien des Cinci, que le défenseur presque monstrueux d’Antinoüs, dont l’audace ressemblait à une provocation perpétuelle, ne gasconnait pas dans ses thèses inouïes, et qu’il en pensait les propositions. Assurément, il eût mieux valu ne pas les penser et ne pas les soutenir, mais il ne s’agit pas ici du fond des choses et du mutisme radical de l’esprit de Stendhal, en fait de morale, il s’agit seulement de signaler la fermeté d’un caractère dont la force augmentait encore celle d’un esprit, qui, naturellement, savait oser. Dans la biographie intellectuelle servant d’introduction à la Correspondance, un trait rapporté par M. Mérimée nous fait mieux comprendre que tout