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D’ailleurs, il faut bien en convenir, on n’est pas libre de le passer sous silence. On ne voile les portraits des doges que quand on les a décapités ! Non-seulement Stendhal a un de ces mérites positifs qui forcent la main à la Critique, mais il a, de plus, une fascination singulière qui oblige à le regarder. Le caractère de cet esprit faux ou sincère (et, pour nous, il manquait de sincérité) est d’attirer comme une énigme. « C’est le palais dans le labyrinthe », dont parlait cette fille de génie… Il était pétri de contrastes, et sa volonté acharnée les repétrissait en lui. Matérialiste sans emphase, souterrain et fermé, il eut toute sa vie cette simplicité effrayante d’une erreur profonde, qui, selon l’Église et son terrible langage, est le signe de l’impénitence finale de l’esprit. Mais ce matérialiste avait vu la guerre, la grande école du sacrifice et du mépris de la matière. Il l’avait vue et il l’avait faite, et cette saine odeur de la poudre qu’il avait respirée avait préservé la vigueur de son esprit, sinon de son âme, des dernières pourritures de la corruption. C’était un homme d’action, fils d’une époque qui avait été l’action même, et qui portait la réverbération de Napoléon sur sa pensée ; il avait touché à cette baguette magique d’acier qui s’appelle une épée, et qu’on ne touche jamais impunément, et il avait gardé dans la pensée je ne sais quoi de militaire et, qu’on me passe le mot, de cravaté de noir, qui tranche bien sur le génie fastueux des littératures de décadence.

Il eut beau s’éloigner, en effet, des premières fonctions de sa vie, de ses premières préoccupations ; il eut beau devenir, à moitié d’existence, un observateur,