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semble avoir les mêmes dimensions. Tous deux sont des esprits également puissants par la parole et par la plume, quoique, contrairement à Diderot, la parole l’emporte sur la plume chez M. Brucker. Tous deux sont artistes et philosophes. Ils inventent et ils réfléchissent. Coureurs d’idées, après qui la Forme, cette fortune des idées, se met à courir, ils ont touché à tout le clavier humain, et ils l’ont fait vibrer jusqu’à la souffrance du tympan. Tous deux, ils ont écrit des romans, des dissertations, des œuvres de théâtre, de la critique, du dogme et des prospectus pour des marchands de foin. Illuminés d’enthousiasme ; hommes de parti enlevants d’éloquence dans des camps opposés ; natures bouillonnantes qui dégorgent incessamment comme la bouche d’un fleuve, soit des pensées, soit des images ; espèces de Pythonisses de leur propre esprit ; passionnés dans leur âme et passionnés dans leur sang que l’Imagination fouette incessamment de ses mille dards enflammés, ils ont les mêmes audaces d’expression et ils se ressemblent jusque dans leur originalité… La seule différence qu’il y ait entre eux, c’est que Diderot l’athée ne fut jamais qu’un athée. Quand il écrivait pour dix-huit louis dix-huit sermons, il se moquait de lui-même et de l’homme qui les lui payait, tandis que M. Brucker, né sur le fumier de l’incrédulité, qui ne vaut pas celui de Job, a longtemps été philosophe, mais est devenu un chrétien, avant de recevoir son coup de lumière dans l’intelligence. Nous nous trompons. Il est une différence encore. Personne n’ignore les splendides et funestes facultés de Diderot. Son siècle a été bon pour lui. Ses livres sont lus,