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et dans la vie, profond lorsqu’il paraît trivial, sévèrement écrit, d’un style pur, et pourtant ardent, comme du fer passé dans la flamme ; beau livre, enfin, moral et chrétien, comme Diderot aurait pu l’écrire, s’il n’eût pas été l’athée Diderot !

Car, pour tous ceux qui ne sont pas dupes du bruit que le hasard ou les circonstances élèvent autour d’un nom ; pour tous ceux qui savent que le plus souvent la gloire, c’est le son de la flûte, tombée dans les grands chemins, et qu’un âne qui passe, en la flairant, fait résonner ; pour ceux enfin qui prennent les esprits dans leur propre substance et qui les comparent, il y a plus d’un rapport à faire saillir et à reconnaître entre M. Raymond Brucker et Diderot ! M. Brucker n’a pas fait l’Encyclopédie, et nous l’en félicitons de tout notre cœur, mais c’est un esprit encyclopédique et qui a encyclopédiquement écrit. Isolé comme un chrétien dans ces temps d’épreuve pour les vrais serviteurs de Dieu, il n’est pas, comme Diderot, le centre d’une légion (le diable s’appelle parfois légion) de philosophes qui le regardent comme leur Ordonnateur en chef. M. Brucker, le Diderot chrétien, n’a ni l’éclat, de la vie de Diderot l’athée, ni son influence sur l’opinion. A l’extrémité, à l’opposite des idées du philosophe du dix-huitième siècle, il n’a rien, hélas ! de ce qui fut un bonheur et une force pour le bibliothécaire de Catherine II. Les rois très-chrétiens doivent penser autrement que les souverains philosophes qui trouvent absurde le mot divin : « Bienheureux ceux qui souffrent et bienheureux ceux qui Pleurent ! » Mais il s’agit ici de génie, et non pas de destinée. Géométriquement, l’angle facial de ces deux hommes