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attaqua l’Église, les gouvernements, les législations, toute la vieille société dont il ne gardait que les vices, et il publia successivement tous ces livres qui ont le plus mordu, vitriol terrible, sur les imaginations de ce temps. Pour sa peine, il fut salué et proclamé homme de génie. Lui, l’ancien écrivain régence et à outrance, il devint le moraliste des temps futurs. Les phalanstériens mirèrent leurs songes dans ses œuvres, Il reçut comme hommage des montres d’argent de messieurs les horlogers de Genève. Ah ! sa nature donnée, à ce Brummell de second rang, ce dut être bien affreux pour lui, mais il y a dos talions si spirituels dans les justices de la Providence ! Il avait voulu de la popularité à tout prix et il lui en vint jusque de celle-là qui donne la nausée à qui s’en régale. Deux jours avant sa mort, il était obligé d’essuyer encore les aubades qui devaient cruellement offenser ses nerfs de grand seigneur manqué et de voluptueux, et la mort seule put le débarrasser de cette éclatante misère, des importunités de ce bruit qu’il avait tant aimé et auquel il avait sacrifié toute sa vie.

Et il y sacrifiait en plus son talent. Selon nous, ce talent n’était pas immense. Il n’était pas grand, il n’était que gros ; et lors même qu’il aurait été développé par les études fortes et sévères, il n’aurait jamais donné à M. Sue la place à laquelle les partis l’ont élevé pendant quelques jours. Celle qu’il aurait conquise n’eût été ni si retentissante, ni si en lumière, mais du moins il ne l’aurait pas usurpée, et la Postérité ne la lui reprendrait pas. M. Eugène Sue, qui a de la couleur et de l’expression pour tout mérite — le fracas des événements dans ses romans les plus vantés