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Eh bien ! tel pays et tel homme. L’imitation est le génie de la Russie. C’est son genre, c’est peut-être à jamais son seul genre d’originalité ! Seulement, pour imiter comme elle imite, il faut une vraie souplesse de tigre. Or, quand on n’est pas lion, il est beau d’être tigre encore. Cette faculté d’imitation, si facile qu’elle en paraît instantanée comme l’éclair, les Russes ont trouvé un mot pour l’exprimer sans faire saigner cette veine si pleine, toujours gonflée sur la joue rougissante de l’amour-propre national. Ils l’ont appelée « le génie cosmopolite de la Russie », et ils ont raison ! Rien n’est plus cosmopolite que l’imitation. Rien n’entre mieux dans le cœur des hommes que leur propre image qu’on leur rapporte, car jamais ils ne pourront croire que les réfléchir, ce ne soit pas les admirer !

Gogol a beau vouloir n’être que Russe, il a beau regimber contre l’influence française et l’influence allemande, il les porte tous les deux sur sa pensée : il a appris le latin dans Richter et dans Voltaire. Ce penseur à moitié de pensée et à deux réminiscences sait bien ce qui manque à la Russie : il sait aussi ce qui lui manque à lui ! Même à ses yeux, la Russie n’a de personnalité que quand elle est absente. Les Russes ne seraient donc Russes que par nostalgie, ou par vanité devant l’étranger ? Il dit positivement, dans sa confession d’auteur : « Les Russes ne se parlent qu’à l’étranger : en Russie, ils ne s’adresseraient pas une parole. » Est-ce la vérité ? Mais ce fait de n’être jamais que négativement et non pas affirmativement Russe, ce fait l’empêche, lui, d’être inventeur, comme les autres talents russes, qui ont toutes les puissances de l’esprit, excepté l’invention, la seule chose qui s’affirme et qu’