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La raison, dit-il, c’est qu’un tel homme a des esclaves ; comme si Gobseck, avec les passions qu’il déchaîne en leur montrant son or, n’en avait pas !


III

Mais laissons les grands noms et les grands modèles. Laissons Cervantès, laissons Rabelais, Richardson et Fielding, et Molière et Balzac, et quand un homme n’est pas même Swift, ne tourmentons pas notre trompette de traducteur et soufflons dedans des airs plus doux. Le talent de Nicolas Gogol, on ne saurait le nier, mais la critique est une mesure, et elle n’a fait que la moitié de sa tâche quand elle s’est contentée de dire : « Cet homme a du talent, ou il n’en a pas. » Assurément, l’auteur des Ames mortes est un talent à sa manière, mais c’est un talent russe, et peut-être le plus russe de tous les talents de son pays. Il a de l’humour et de l’observation, ce n’est pas douteux, mais il n’a assez de l’une ni assez de l’autre pour avoir une personnalité dans l’une ou dans l’autre. Il n’a point de personnalité parce qu’il en a deux ! Il n’a point de personnalité, comme son pays, du reste, qui les a toutes, et qui, pour cela, n’en a aucune, aucune dont on soit fondé à dire : Tenez ! pour le coup, voici la Russie sans mélange, virginale, la Russie pure, le diamant brut, mais d’autant plus précieux qu’il n’a jamais été rayé par une influence étrangère !