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les légers de l’Europe, nous appelons cela superficiel ! M. Charrière, qui a pour Gogol les bontés d’un homme d’esprit pour la personne qu’il a pris la peine de traduire, n’hésite pas à mettre les Ames mortes à côté de Gil Blas, et, si cela lui fait bien plaisir, nous ne dérangerons rien à cet arrangement de traducteur, car la réputation de Gil Blas, — ce livre écrit au café entre deux parties de dominos, — a dit le plus fin et le plus indulgent des connaisseurs, — n’est pas une de ces gloires solides qui aient tenu contre le temps. Elle est passée… passée comme les rubans hortensia qui servaient de serre-têtes à nos grands-pères ! Seulement, si nous cédons Gil Blas, nous ne pouvons pas permettre qu’on compare en quoi que ce puisse être le satirique russe, qui se torture pour être méchant, à notre impartial et tout-puissant Balzac.

Les personnages du roman de Gogol, tous ineptes, ne sont plus que superficiels, quand ils cessent d’être profonds d’ineptie. Le tendre Mâniloff, à qui « on voudrait voir une passion, une manie, un vice, afin de lui savoir quelque chose », Mme Koroboutchine, Nozdref le hâbleur, Pluchkine l’avare, — ces tics plutôt que ces passions, — ne peuvent pas être mis à côté de la magnifique variété d’individualités qui foisonne dans La Comédie humaine, et qui sont taillées si profond que les gens qui ne voient pas à une certaine profondeur ne les croient plus vrais, les pauvres myopes ! M. Charrière a prétendu que le Pluchkine de Gogol faisait plus d’effet sur l’imagination que les avares de Balzac, cette légion digne de Rembrandt et de Shakespeare, Gigonnet, Grandet et le terrible Gobseck lui-même ; et la raison qu’il en a donnée est une petite raison de philanthrope politique.