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existence si courte de Guy Livingstone se compose des événements les plus ordinaires. Il n’y a certainement pas un gentilhomme dans tous les comtés de l’Angleterre dont la vie, dans son ensemble, ne pût ressembler à la sienne. La vie de Livingstone est la vie de tout le monde, à sa hauteur sociale. Nulle aventure n’y prend aux cheveux le lecteur et ne l’enlève. L’aventure, l’extraordinaire, c’est lui-même… Les faits extérieurs, pour un homme comme M. Lawrence, qui n’écrit que pour ses pairs, les faits extérieurs de toute destinée sont assez peu de chose, et il ne doit y avoir que des idées et des sentiments.

M. Lawrence, le byronien, ne l’est pas seulement que par l’expression et le sentiment, il l’est jusque dans la conception de ses personnages. Guy Livingstone est un de ces héros de lord Byron, aussi faciles à reconnaître maintenant que les héros d’Homère, mais de ceux-là, — car il y a deux familles de héros en lord Byron, — chez lesquels l’action domine la pensée. Guy Livingstone est le frère du Giaour, de Lara, de Conrad le Corsaire, moins coupable sans doute que ces sombres figures de la Force blessée au cœur et qui continuent de vivre avec la fierté de la Force jusqu’au moment où, d’un dernier coup, Dieu les achève… C’est un héros de lord Byron, resté au logis (at home), dans son ordre social, qui a été très-bon pour lui et qui lui a donné à peu près tout ce que l’ordre social peut donner : la naissance, la fortune, l’éducation, les relations, tout ce qui s’ajoute à la force individuelle dans un pays où l’ordre social est si bien fait, qu’un homme s’y dira, avec la certitude qu’on n’a jamais ailleurs dans les pêles-mêles que l’on prend pour