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distingué, mais qui sacrifie aux esprits vulgaires… rien n’étant plus vulgaire dans les choses de l’esprit que la curiosité du dénoûment. C’est là, selon moi, le grand reproche à adresser à M. Mérimée, qui n’est pas seulement sec de nature, mais qui l’est encore de système, et il faut d’autant plus insister sur ce reproche qu’il existe à cette heure beaucoup d’esprits assez intéressés à proclamer que le sans ornement et la brièveté sont la force. Ils le sont quelquefois. Ils ne le sont pas toujours… Pour les historiens observateurs qui s’occupent de la mystérieuse filiation des esprits, M. Mérimée est un des grands parents de ce que j’oserai appeler en littérature : l’École des Pauvres. Il a commencé avec talent dans le roman ce qu’un homme de talent aussi, M. Alexandre Dumas fils, parachève présentement dans le drame, le décharmement de tout ce qui n’est pas l’action même. Tous deux ont fait prendre pour de la richesse une pauvreté de leur esprit, et de petits critiques à la suite… de tout succès ont dégagé une poétique de ce qui n’était qu’une indigence. Comme conteur, on n’a pas de trop plein ; on n’a pas les longueurs sublimes de Richardson et de Walter Scott. Comme poëte dramatique, on n’a point la verve profonde de Molière ou l’esprit étincelant de Beaumarchais. Eh bien ! c’est de ne pas les avoir qui est un mérite. Le roman et le drame vont mieux, allégés de ces charmantes et magnifiques inutilités. Tout faire tenir sur une carte de visite, comme le voulait Richter, voilà l’idéal !… A ce compte-là, s’il fallait l’admettre, l’art du roman ne serait plus que la puissance « de bâtir un Alhambra sur une pointe d’aiguille », et