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marquées entre l’auteur de Colomba et l’auteur de Rouge et Noir, pour qu’on ne puisse poser la question terrible qui supprime un homme : Qu’aurait été M. Mérimée si avant lui Stendhal n’avait pas existé ?…

Ce qu’il aurait été ?… Oh ! certainement quelqu’un de fort diminué, mais pourtant d’existant encore… Stendhal manquant, je ne crois pas du tout que M. Mérimée eût été impossible. Au lieu de Stendhal, il aurait imité quelque autre ! C’est surtout à propos de ces esprits imitateurs qu’il faut rappeler l’incorrecte mais énergique expression proverbiale : « un de perdu, deux de retrouvés ! » M. Mérimée, esprit excessivement cultivé, talent venu en pot, bien plus qu’en pleine terre, n’a-t-il pas commencé par s’inspirer du théâtre espagnol et à mêler du Musset et du Lesage dans l’imitation qu’il en a faite ?… Depuis, ne s’est-il pas inspiré de la poésie des chants de la Grèce moderne, publiés par Fauriel, pour nous donner une fausse poésie illyrique ?… Et au moment même où Stendhal devait agir et agissait le plus fortement sur sa pensée, n’a-t-il pas tenté d’imiter aussi Walter Scott, dans la Chronique de Charles IX ?… Avec sa vaste littérature, M. Mérimée n’aurait jamais manqué de sources d’inspiration étrangère et de modèles à imiter, comme il les imite, en les réduisant, car le trait caractéristique de l’imitation sans enthousiasme, mais sans entraînement, de M. Mérimée, c’est d’ôter beaucoup à ce qu’il imite, dans un but de netteté et de précision… M. Mérimée grave ce que les autres ont peint, mais en en retranchant la moitié. Il n’a de goût ni pour les opulences de la pensée, ni pour les fantaisies de la forme. Il est anti-poëte et anti-rêveur.