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pas une autre à côté d’elle. Elle y laisse à peine des velléités. Si M. Prosper Mérimée, l’auteur de Clara Gazul, de Colomba et de Carmen (ses meilleurs titres, dit-on, à la renommée), avait eu la grande vocation, cette vocation dominatrice et enflammée qu’on pourrait appeler l’idée fixe sans folie, on ne l’eût pas vu, au milieu de sa vie, je ne dis pas de romancier devenir historien, par la raison très-simple que, qui sait raconter le cœur de l’homme peut bien raconter le cœur des peuples, mais de romancier devenir archéologue, philologue, antiquaire, et finir en Raoul-Rochette après avoir commencé en Stendhal… M. Prosper Mérimée, dont le talent est incontestable, n’a pas été, cependant, assez maîtrisé par ce talent que je lui reconnais, pour ne pas désirer de s’en faire un autre à côté. Or, le talent qu’on se fait, comme on peut aussi se faire un visage, ne vaut jamais celui qu’on a. On sacrifie presque toujours alors des facultés réelles à des prétentions incertaines. Si M. Mérimée était resté ce qu’il était quand il débuta, et même plus tard, et qu’il eût continué de se développer dans le sens de ses facultés naturelles, nous aurions peut-être un grand romancier de plus… Au lieu de cela, nous n’avons eu qu’un homme de beaucoup d’esprit et de ressources, qui a fait toutes sortes de livres, parmi lesquels il y a des romans qu’il est temps aujourd’hui de juger.

Il est temps, en effet. Ces romans célèbres, qui ont vingt et trente ans d’existence, ont été vantés, exaltés, mais jugés, non, et je dirai pourquoi. Avec l’immobilité des jugements des hommes, tout dépend longtemps, sinon toujours, du premier moment dans la