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pamphlet dans lequel on insulte deux à trois personnes, sous des noms inventés, à travers lesquels on voit les vrais noms. Pour l’auteur de ces tristes Mémoires, le but évident, le but pourpensé et réfléchi de son livre, c’est ce coup de Jarnac du pamphlet, mais le roman y est aussi. Il y est par dessus le marché. Il y est pour bien des raisons, mais surtout parce que cette forme du roman est un excellent mur d’exposition sur lequel on peut accrocher, pour qu’on les voie mieux, ses portraits. Seulement, le roman qui pouvait être, dans ces Mémoires, charmant ou puissant, selon le genre d’esprit de l’auteur, s’il avait pénétré tout ce qu’enferme l’idée de son titre, n’y est guère qu’abject et inepte, par une de ces combinaisons comme on en rencontre encore quelquefois… Oh ! mon Dieu, oui, encore quelquefois !

Les Mémoires d’une femme de chambre ! quel titre et quel thème, en effet, à développer sous ce titre heureux ! Le Diable boiteux de Lesage, les Mémoires du Diable de Frédéric Soulié, ce Shakespeare des portières, dans lesquels il y a tant de vie et de vérité pourtant, ne reposent, après tout, que sur les plus grossières inventions fantastiques ; mais les Mémoires d’une femme de chambre, qui sont aussi des Mémoires du Diable à leur façon, s’appuient sur une donnée humaine d’un tout autre intérêt et d’une toute autre réalité ! Satan, cette dernière ressource des gens damnés en littérature, n’a point à y paraître comme dans un conte allemand, et on n’y renverse pas le dessus des toits, comme on renverse, dans Le Diable boiteux, le couvercle d’une tabatière, pour voir ce qui se passe dessous !