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qu’il me déplaît de lui voir perdre ses facultés dans des œuvres pour lesquelles évidemment il n’est pas fait.

Pendant le temps, le trop long temps qu’il a mis à nous écrire, dans un style qui sent à la fois son Pierre Gringoire et son Trissotin, cette chronique bravache, galante et coquebine du Capitaine Fracasse, il pouvait nous donner un recueil de vers comme La Comédie de la Mort, ou un voyage comme les voyages d’Espagne ou d’Italie. Il ne l’a pas fait, et c’est là ce qu’il faut regretter ! En règle stricte, on ne doit jamais abdiquer sa personnalité en littérature, et j’en reconnais à M. Gautier une double, très-accentuée.

Poëte, je ne le placerai point parmi les plus grands. Il est aux plus grands ce que le diamant taillé est à la rose, ce bijou de Dieu, que personne ne taille : mais écrivain, il est peut-être celui de tous qui, par un miracle de précision dans les mots, ait le plus fait ressembler l’art d’écrire avec une plume à l’art de peindre avec un pinceau. Eh bien, cette double personnalité de poëte et d’écrivain en M. Gautier, je ne la reconnais point dans le livre du Capitaine Fracasse. Au contraire, M. Gautier a mis sa coquetterie à l’y effacer !

Je n’y ai pas reconnu le poëte dans le rabâcheur des mêmes images et des mêmes comparaisons qu’on y trouve. Je n’y ai pas reconnu non plus l’écrivain au vaste dictionnaire dans le recureur d’une vingtaine de mots tombés en désuétude, entre lesquels il roule la langue de tout le monde, et c’est surtout cette disparition totale de l’écrivain et du poëte, dont l’union donne M. Théophile Gautier, sous le pédantisme maigre