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pas la main qui peint, c’est la tête. C’est la tête qui peint avec la main ! Dans un roman d’observation humaine et sociale, vous ne pouvez pas faire abstraction de tout ce qui n’est pas l’objet même que vous devez peindre.

La morale, la religion, la métaphysique, toutes les conditions de la nature humaine intellectuelle pèsent sur vous. Elles s’infiltrent dans votre couleur, maîtrisent votre coup de pinceau ! les Réalistes restant toujours moins bas qu’ils ne voudraient l’être… Malgré l’enivrement de ce tempérament

à la Mirabeau, qui fait encore sa seule individualité littéraire, M. Bataille n’arrivera jamais, je l’espère, à ce degré de bestialité délirante qui doit être pour lui l’idéal. Le livre qu’il vient de publier, ce livre révolutionnaire sans but et moraliste sans foi, n’a pas d’autre explication et d’autre signification que le bonheur de se vautrer là dedans, comme un bœuf dans un pâturage ! En dehors des sens sur lesquels il frappe, il n’existe plus comme portée. Est-il dangereux ? Tout peut l’être. La nature humaine en chute est si misérablement bâtie, que le dégoût ne sauve pas toujours du dégoûtant… Malgré l’ignominie des situations du livre de MM. Bataille et Rasetti, et malgré la pureté de l’adolescence des jeunes filles, je ne jetterais pas ce roman par-dessus les murs de leurs pensions. Je m’arrêterais. Je croirais à un danger certain. Et MM. Bataille et Rasetti auraient beau rire, comme tous les diables, de ce danger, moi, j’y croirais !

Quant aux détails du livre en question, sont-ils assez soignés, assez trouvés, assez puissants du reste, pour que l’art ait caché de son voile de prestiges les