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Misérables, tenant à des circonstances extérieures au livre, — les grands succès vrais sont toujours des impressions fraîches. Antoine Quérard ne fait point une de ces impressions-la. Ce n’est pas moi qui ai dit, mais enfin on a dit que l’Antoine Quérard de MM. Bataille et Rasetti était une Madame Bovary retournée, une Madame Bovary mâle ; et à mon sens, cela n’est pas exact, du moins dans cette affirmation et dans cette rigueur, mais je comprends bien qu’on l’ait dit. Assurément, M. Bataille, que je connais bien (je connais moins M. Rasetti), a trop de violence dans le talent et surtout trop d’amour de la violence, pour exécuter cette chose patiente, cette hypocrisie de l’esprit, — une imitation qui veut se cacher : car toute imitation a au moins la prétention de n’être pas une copie ! Seulement, il ne m’est pas prouvé, à moi, que si Madame Bovary n’eût pas été dans le monde, Antoine Quérard eût jamais paru. Il y a des esprits qui se mettent en vibration les uns par les autres ; M. Flaubert a fait vibrer M. Bataille, et la vibration a été l’Antoine Quérard d’aujourd’hui.

Et par cela seul, M. Flaubert est le supérieur et le maître, la cause étant toujours plus grande que son effet, mais M. Charles Bataille est, malgré tout, une force à sa manière, une force qui fera peut-être un jour vibrer les autres, au lieu, comme aujourd’hui, de vibrer par eux. M. Gustave Flaubert a eu sur M. Bataille cette supériorité amère des années qui fait la connaissance du cœur humain, si nécessaire au romancier. Il est un artiste très-froid, d’une concentration infinie, arrivant toujours à la chaleur par l’extrême froid, ce qui est une loi de la nature intellectuelle tout