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Et ce manque radical d’originalité dans le sujet et les personnages des Victimes d’amour, il est aussi dans les détails. Ainsi, par exemple, quand Maurice Berthaud s’embusque dans l’escalier des Italiens pour en voir descendre sa maîtresse, nous apercevons, derrière la description de M. Malot, passer sur le même escalier le Michel Chrétien de Balzac, qui y fait exactement la même chose, mais qui le fait de façon à éteindre le petit tableautin de M. Malot sous le flamboiement du souvenir.

Ainsi encore, quand Berthaud et son ami Martel sont menacés de périr dans la tempête, en face de tout le village de Plaurach, assemblé sur le rivage, et qu’Autren, l’homme de cœur du livre, qui prouve son cœur en se tuant, comme Werther et Stenio, se jette à l’eau pour sauver son rival, pourquoi le vaisseau de Bernardin de Saint-Pierre, dans Paul et Virginie, vient-il projeter sa grande ombre sur la barquette de M. Malot ? et pourquoi Autren, nu jusqu’à la ceinture sur son écueil, fait-il surgir dans l’imagination, qui a le souvenir autant que le rêve, la nette image de ce matelot, nu aussi jusqu’à la ceinture, et qui, debout sur le pont du navire, demandait à genoux à Virginie l’honneur de la prendre dans ses bras et de la sauver ?… Certainement ce n’est pas là du copiage volontaire et conscient, mais il n’en est pas moins certain que le réverbérateur de toutes ces choses, dont la seule invention est de se croire un inventeur, allume en nous d’anciennes images qui ont plus de vie que les siennes et qui nous en éclairent la petitesse par la comparaison !