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envoie promener l’ironie, qu’il garde cela, car c’est le meilleur de sa gerbe. Ce sont les fleurs qui doivent la parfumer. M. Paul Deltuf a la légèreté, cette faculté qui donne des ailes à tout, cette faculté-femme que les lourdauds appellent « la Frivolité », en croyant que c’est une malice, et qui lui fait dire si joliment et si naturellement dans sa Confession d’Antoinette : « Je ne demandais plus rien à la vie que ce dernier hommage rendu à la beauté dont j’avais été si fière, que cette dernière caresse à mon péché mignon, la vanité, mais je les voulais, il me les fallait, après quoi je ne songerais plus qu’à tricoter pour mes petits-enfants ! » Eh bien ! que M. Deltuf ne l’empâte pas, cette faculté, dans les grandes prétentions de noire époque, car ce qu’il laisserait là et prendrait pour elle, à coup sûr, ne la vaudrait pas.

A l’heure qu’il est, les livres les plus difficiles et les plus rares sont des livres légers, et, quand je dis légers, je ne dis pas inconsistants. Pourquoi le succès du Don Juan ? C’est que le Don Juan est léger, quand Childe-Harold n’est que sublime. Pourquoi, malgré le plus immense talent, Chateaubriand, de solennité, finit-il par être insupportable ?… La gloire de de Musset ce sillon rose dans l’air que le temps n’efface pas et qui traînera longtemps encore derrière ce jeune homme, lient autant à la légèreté de son esprit qu’à sa passion et à son éclat ; et, pour mon compte, je suis persuadé qu’un livre moderne, plein des choses modernes, qui aurait le bonheur d’être écrit avec la légèreté perdue des Mémoires du chevalier de Grammont, par exemple, nous paraîtrait un phénomène et nous tournerait la tête à tous, graves caboches du dix-neuvième siècle !