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II

Si l’étude de M. Eugène Poitou avait été réellement une étude morale et littéraire, dure fût-elle, cruelle même, nous l’aurions acceptée. Nous aimons les Aristarques du génie. Nous n’en craignons pas même les Archiloques, s’il s’en rencontre, car les limes de la gloire sont plus dures que la dent des gracieux animaux qui les rongent, et c’est toujours quelque chose, c’est encore un profil pour l’intelligence que le talent, fût-il dans l’injustice. Il y a plus. Nous montrer les côtés faibles ou mauvais d’une grande œuvre qui noie ses défauts dans une splendeur éblouissante, appliquer une vue de lynx sur cette vue d’aigle qui a embrassé tant d’objets, mais à laquelle beaucoup ont pu échapper, signaler enfin dans l’homme le plus imposant la petitesse humaine qui doit empêcher l’idolâtrie, c’est là une entreprise qui a son mérite, ses difficultés, sa valeur. Plus l’œuvre est belle, plus le critique est fort qui la pénètre et qui la juge. Plus la gloire et le talent semblent de bon aloi, plus le peseur de tout cet or fin doit avoir la main sûre et le tact exquis. Voir une tache ou voir une étoile, c’est la même chose. Le tout est de voir. Par l’évidence de son génie, Balzac, dont il est question, est précisément un de ces hommes qui créent à ceux qui le regardent des obligations d’aperçu ; et l’on peut dire hardiment que le critique qui n’a pas vu en lui et qui n’y montre pas ce que le commun des