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si tristement de sa folie en se moquant d’elle-même avec une si courageuse gaieté ! Il n’y a pas d’analyse à faire de cette œuvre charmante, brûlante et chaste, dont les détails sont ravissants. On ne doit point attacher du plomb à de la gaze, disait Rivarol. Mais on peut dire du moins qu’on a rarement touché d’une main plus délicate, plus femme et plus fée, à une situation plus commune, pour en tirer des effets tout à la fois plus amers et plus doux.

Oh ! nous savions bien que l’esprit guérit tout, que c’est le dictame qu’il faut s’appliquer sur le cœur lorsque ce malheureux blessé saigne ; nous savions bien que l’esprit prend son parti de tout, mais l’avoir prouvé une fois de plus avec cette grâce, avoir fait tenir tant de sanglot étouffé dans tant de sourire, avoir fait si divinement trembler la voix en disant des choses si légères, voilà le mérite et l’originalité de M. Deltuf, et voilà aussi la raison de notre espérance, quand nous disons qu’il sera un jour un Marivaux plus profond, plus sensible et plus coloré que Marivaux !

Oui, plus coloré, plus profond, plus sensible. L’homme qui a écrit La Famille Percier, — cette tragédie domestique qui n’est pas du tout un mélodrame, — et Le Mariage de Caroline, où l’observation a tant de regard, — est bien capable d’acquérir en les développant ces qualités de profondeur, de couleur et de sensibilité qu’il a en germe, et dont nous ne pouvons pas nous passer au dix-neuvième siècle. Mais tout en les acquérant, qu’il garde, qu’il garde surtout cette légèreté qui n’est pas de notre temps, ce détaché, cet air de n’y pas tenir quand on est le plus spirituel, cette ironie qui envoie promener l’émotion, et cette émotion qui