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Mais l’insuccès à faux est une cruauté sans revanche. Qui peut dédommager un homme de talent, surtout quand il commence à naître et qu’il a besoin d’un peu de succès pour se développer ; qui peut le dédommager de l’inattention, du silence, de l’oubli, de toutes ces horribles choses qui viennent s’entasser autour de son livre et l’intercepter au public, qui le lirait, si la Critique, vigie infidèle, avait dit le mot qu’elle doit dire et avait averti ?

Eh bien ! c’est cet avertissement que je veux donner aujourd’hui, à propos d’un livre dont on n’a point parlé, que je sache, et qui, de présent, peut se croire très-parfaitement étouffé par messieurs les muets de la critique contemporaine. Si le livre que nous annonçons était une œuvre considérable, d’une santé robuste, d’une musculature de génie, par conséquent fort capable de résister tout seul à l’étranglement du silence, je m’en inquiéterais moins et je le laisserais peut-être sur les rayons de son éditeur, entre les deux volumes qui le pressent à gauche et à droite, bien sûr qu’on n’étouffe pas le génie si aisément entre deux platitudes. Mais le livre que voici court de grands périls. Réellement, il pourrait fort bien être étouffé ! Il est délicat, il est gracieux, il n’est pas fort ; il a la grâce d’Omphale ; il n’a pas la force d’Hercule. C’est un simple petit volume de nouvelles élégantes et légères, et vous savez à quoi sont exposées dans ce temps lourd les choses légères, — dans ce temps égalitaire, les choses élégantes ! C’est un volume sans prétention, sans préface, sans dédicace et sans épigraphe, composé de cinq nouvelles en tout, — ni plus ni moins, — mais qui sont, toutes les cinq, une idée