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brille parfois dans ce chaos, comme des cailloux dans des ornières. Il y a, dans ces mares d’arcs-en-ciel dissous et brouillés, dans lesquelles on entre jusqu’au ventre, de jolies nuances qu’on voudrait sauver, et c’est impossible ! Tout reste perdu et englouti dans cette mêlée tapageuse et confuse où la ligne de tout dessin se rompt, — où la composition se noie, — et où tout caractère, posé d’abord, éclate bientôt, sous l’effort qui le tend et qui finit par le briser !

Telle est la marque distinctive du livre présent de MM. de Goncourt, — la tension qui fausse et casse tout ; la violence qui n’est que la force de la faiblesse. Tel aussi le procédé ordinaire à ces messieurs, qui se piquent d’être des enflammés et des rutilants ! Quel qu’il fût, du reste, leur procédé importait peu quand ils nous dressaient à la sanguine ou au vermillon leurs inventaires de commissaires-priseurs du dix-huitième siècle ou qu’ils en enluminaient, avec du d’or dessus, les anecdotes. Mais c’est tout autre chose aujourd’hui qu’ils font un roman, lequel, — comme tout roman, — doit être d’abord une idée, — puis une action, — et enfin un développement de nature humaine sous ses trente-six faces, avec un dénoûment qui éclaire le tout d’une suprême clarté !

Avant de se mettre à cette grave besogne, MM. de Goncourt se sont peut-être très-bien rendu compte des obligations du roman, mais bah ! une fois la plume dans l’écritoire, le tempérament, les habitudes, l’amour du pittoresque sentimental ou plastique, la rage de montrer de l’esprit, — de celui qu’on a et… aussi de l’autre, — les éblouissements de la paillette, l’idolâtrie des pétards et des feux d’artifice, les admirations