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difficiles à traduire dans leur grâce native il les transporte dans la langue qu’il écrit et il l’en parfume, et c’est ainsi qu’il ajoute à l’individualité de son talent et de son langage l’individualité de son pays.

Et d’ailleurs, si pour être vrai il faut être calme, qui jamais fut plus calme que l’auteur du Marquis des Saffras ? Si pour bien voir il faut avoir le regard pur, qui l’eut jamais plus essuyé de toute écume, et de toute ombre, colère, mépris, terreur, pessimisme quelconque, que cet observateur, aux yeux clairs, qui traduit toujours son observation avec une expression de la même clarté que son regard ? Impersonnel et désintéressé de tout, excepté de la perfection dont l’idée est à l’état d’étoile fixe dans son esprit, l’auteur du Marquis des Saffras est un artiste d’une sérénité infinie, que le temps n’a pas rendu spectateur comme le vieux Goethe, car il est jeune, mais qui est né contemplateur. Chez lui l’habitude de la contemplation a tranquillisé immensément la pensée. Le caractère du talent de M. de La Madelène est une grande douceur dans une grande lumière : mais ne vous y méprenez pas ! ce sont deux toutes-puissances ! La douceur de M. de La Madelène n’a rien de béat, ni d’optimiste, ni de sympathique à côté, ni de dupe, comme bien des talents qui n’en sont pas plus doux pour cela ; et sa lumière est faite d’une chaleur et d’une flamme, dont les rayons peuvent se velouter en passant par le milieu de sa pensée, mais n’y perdent pas de leur pénétrante intensité !