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n’est plus là le paysan éternel, retrouvé dans quelque anse des Cyclades, entre sa charrue et sa barque ; le même qu’il fut depuis la Bible jusqu’à Homère, et depuis Homère jusqu’aux chansons des Palikares, mais le paysan des temps où nous sommes, ce débris d’homme fruste qui se polit chaque jour, la dernière goutte du limon créateur, qui n’ait pas perdu sa virginité ! Sur celui-là, sur cette tête crépue de Samson, la civilisation, cette Dalila, a déjà mis cette affreuse main qui coupe la force ; demain elle y mettra les ciseaux ! Elle écorcera l’olivier sauvage. Les paysans du Marquis des Saffras ne sont déjà plus des paysans, ce sont des candidats en bourgeoisie. On peut enlever de grandes taches de bourgeoisisme sur leur originalité et sur leur vertu, comme chez tous les paysans de cette époque, du reste, où les mœurs, de même que les classes, ont le sang mêlé et tendent chaque jour à se mêler davantage.

Tels sont les hommes que M. Jules de La Madelène s’est donné la mission de nous peindre. Ces paysans-là n’ont pas assurément plus de réalité que ceux du poëme de Miréio, mais leur réalité est présentement moins exceptionnelle. Ils sont esthétiquement moins beaux, et par conséquent ils s’adressent moins à l’imagination que les pâtres de Miréio, ces figures de bas-reliefs qui vivent, mais ils parlent plus à la pensée. Ils la heurtent par tous les contrastes et en sollicitent la fécondité. Types de transition, auxquels la marche des choses communique de sa mobilité incessante ; il faut se dépêcher de les fixer pour s’en rendre compte, car bientôt ils ne seront plus là avec ce progrès qui entraîne tout, et qui a le précipité et peut-