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il est vrai. Il vieillissait. La grande nouvelle ! Il se répétait. Il jouait au domino, comme Le Sage, et il ne faisait point de Gil Blas. Il bavardait, bavardait, bavardait. Il avait le sans-gêne toujours impertinent de l’homme heureux, et non pas de l’homme heureux, sans chemise, de l’abbé Casti, mais de l’homme heureux « qui en a dix-sept cents sur le dos », comme disent les Anglais, ces utilitaires ! Il écrivait de sa plume facile, — trop facile, — tout ce qui lui venait et souvent ce qui ne lui venait pas ! Il roupillait comme Bartholo après avoir fait ses visites. Il s’endormait, et puisqu’il aimait le latin, on le servait en latin : dormitat bonus Janinus. Quand il tisonnait au coin de son feuilleton, il en faisait encore assez bien jaillir des étincelles, mais il n’avait plus ce beau coup de pincettes avec lequel saint Dunstan tordit un jour le nez du diable, ce père de tout drame et de tout vaudeville, comme on sait !

Bref, M. Jules Janin n’était plus ce qu’il avait été. Son talent, ce barége rose, s’était épaissi ; cette diaphanéité charmante s’était empâtée. L’embonpoint de la douairière ensevelissait la jolie femme. La goutte l’enclouait. Il portait du molleton. Il n’était plus qu’un gros chanoine de la cathédrale des lettres, si les lettres avaient une cathédrale, mais les drôlesses croient à peine en Dieu ! Voilà ce qu’on disait de M. Janin avec cette ingratitude athénienne qui nous distingue, quand un talent qui nous charma dure longtemps, sans se renouveler !

Ce n’était plus Janin, le Jules du feuilleton. C’était le gros Janin ! un peu plus il passait Jean, et qui sait, Gros-Jean peut-être, lorsque tout à coup, avec une souplesse