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vent ce qui, sans son enragement, aurait pu vivre. En histoire, elle a perdu M. Capefigue, qui avait de l’historien dans le ventre ; qui a toujours le ventre, mais qui n’a plus d’historien… En roman, elle n’a pas sauvé M. Alexandre Dumas, l’auteur pourtant du Monte-Cristo et des Trois Mousquetaires, le chef-d’œuvre des romans d’aventure, si cher aux blanchisseuses de ce temps ! M. Féval, qui a pris la succession de M. Alexandre Dumas et qui aurait été, s’il l’eût voulu, assez riche de sa fortune personnelle, M. Féval pourrait se garder des dangers de la production trop facile, en portant et en creusant longtemps ses idées, et surtout, surtout en renonçant à un genre de composition qui abaisse la portée de son talent.

Pour un homme de l’organisation supérieure de M. Féval, à la double nature, aristocratique et artiste, pour cet homme d’esprit qui échappe à tout par le don précieux de l’ironie et n’est dupe de rien, pas même peut-être de ses propres inventions, ne voilà-t-il pas une belle position et une belle gloire que d’être le Dennery du roman et de trôner comme roi d’un genre dans lequel M. Ponson du Terrail est évidemment le dauphin ? Je sais bien qu’il y a le mot de César sur la première place dans une bicoque, meilleure que la seconde à Rome, mais je ne suis pas convaincu.

L’ambition littéraire ne pense pas comme l’ambition politique. Elle est plus fière que l’ambition même de César.