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produire cette immense quantité de romans qui se succèdent depuis vingt ans sous forme de feuilleton dans les journaux. Vous le savez, depuis vingt ans et plus, on ne voit que M. Féval et ses œuvres. Il a l’ubiquité d’un dieu. Seulement, est-ce à une gloire de journal, c’est-à-dire de journée ; est-ce à cette fonction littéraire de Conteur pour le plaisir de l’imagination du plus grand nombre, qui est toujours une imagination vulgaire ; est-ce au rôle de Perrault pour les grandes personnes que M. Féval, fait pour mieux que cela, a consacré définitivement ses facultés et sa vie ?… Demande que la Critique a bien le droit de lui adresser avec sympathie, mais derrière laquelle s’élève une autre question, bien plus générale et bien plus haute que la personnalité littéraire, quelle qu’elle soit, de M. Féval.

C’est la question qui brûle tout à l’heure : c’est la question du roman-feuilleton. C’est la question de ce genre de roman qui menace de devenir le moule du roman au dix-neuvième siècle, et dont, à ce moment, je le veux bien, M. Féval est l’expression la plus féconde et la plus brillante. M. Paul Féval n’est pas, en effet, un romancier pur et simple, dans la généralité et la profondeur de ce mot. Il n’est pas un romancier comme Richardson, par exemple, quoique Richardson ait été le premier ou l’un des premiers feuilletonistes de l’Angleterre et que Clarisse ait été publiée par chapitres dans un journal, ni plus ni moins que Le Fils du Diable ou Le Capitaine Fantôme. Il ne l’est pas non plus comme Chateaubriand. Jamais il n’eût écrit pour un journal René ou Le Dernier des Abencerrages, dont certainement, d’ailleurs, aucun