Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/143

Cette page n’a pas encore été corrigée

comment il entendait l’idéalisme dans la forme et la poésie dans la prose.

On lui avait reproché, — si vous vous en souvenez, — les détails par trop bourgeois et même par trop boutiquiers de son premier livre, les descriptions des clous et des tentures de ses appartements, le capitonné, le vernis et le tripoli de tout cela ; on l’avait même (et ce n’était pas nous) appelé le « tapissier littéraire », et il a essayé de prouver que « le tapissier » pouvait travailler aussi à ciel ouvert, faire du Byron, de l’Océan, de la grande nature, car la prétention de Daniel, c’est d’être un livre byronien, et c’est avec cette épithète qu’un critique célèbre nous l’annonçait un jour dans une quinte de bienveillance.

M. Feydeau, en écrivant Daniel, n’a pas cédé à l’entraînement de sa veine ; il l’aurait plutôt contrariée s’il en avait eu une, mais il n’en avait pas ; il n’avait pas assez, pour la faire grimacer dans l’effort, de spontanéité décidée et profonde. Souple, facile et abondant, le talent de M. Ernest Feydeau se plie à toutes les formes et reçoit, en les dégradant un peu, toutes les teintes. Il a le choix de beaucoup de manières, parce qu’il n’en subit aucune, parce qu’il ne sent en lui jamais cette irrésistible inspiration qui fait des hommes de vrai génie des esclaves de Dieu comme le soleil. Pour lui, développer son talent dans le sens même de son talent n’est pas la question, mais prouver qu’il a du talent et de plusieurs sortes, et voilà pourquoi, après nous avoir plaqué du Flaubert dans Fanny, il nous plaque du Byron dans Daniel ; car M. Feydeau fait exclusivement dans le plaqué, et ses succès ne peuvent guère être plus durables