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éclair s’est vite éteint et sans avoir rien allumé. On pouvait croire qu’il y avait furieusement enfoncé encore dans le livre de M. Feydeau, dans ce chaos d’une sensibilité révoltée, un moraliste, pour plus tard, un moraliste qui n’était pas venu, mais qui viendrait, qui pousserait du fond de l’artiste et qui en grandirait le talent en le purifiant. Eh bien ! si on l’avait pensé, c’eût été une erreur. Il n’y avait dans l’auteur de Fanny rien du tout… qu’un écrivain qui cherchait, n’importe où, le sujet d’un livre, et qui, ennuyé et dégoûté (avec juste raison) de cette éternelle tombola littéraire où l’adultère gagnait toujours, s’était dit : « Mais si je renversais la thèse pour faire du neuf… » et qui l’a renversée, qui a tout simplement retourné ce vieux gant sali… Daniel nous apprend aujourd’hui que dans l’auteur de Fanny il n’y avait pas davantage. Moraliste de hasard dont l’étoile a filé, — et l’on sait que les étoiles qui filent ne sont pas de vraies étoiles, — voici dans quel marais celle de M. Feydeau est tombée. Ce marais, c’est Daniel.

Le bourreau de l’adultère a écrit, en effet, sur la première page de son Daniel cette phrase de Chamfort, qui résume l’esprit du livre, mais qui ne lui en a pas donné : « Quand un homme et une femme ont l’un pour l’autre une passion violente, il me semble toujours que, quels que soient les obstacles qui les séparent, un mari, des parents, etc., les deux amants sont l’un à l’autre de par la nature, qu’ils s’appartiennent de droit divin, malgré les lois et les conventions humaines », et jamais plus flagrante insolence ne fut portée par la main d’un bâtard enragé (et Chamfort était l’un et l’autre) à la face d’une société qui