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d’un pareil livre ?… On dirait la vitrine d’une modiste, où seraient exposées des cornes de cerf.


VII

C’est une chose terrible qu’un premier succès. S’il est mérité, il oblige à un succès plus grand, sous peine de tomber de la hauteur qu’il vous a faite. Mais, s’il est immérité, par hasard, et qu’un second, plus vrai, plus justifié, n’en vienne pas couvrir la chance menteuse, on fait pis que de tomber, on sombre… Le Public, désabusé, de taupe devenu lynx, et furieux d’avoir été taupe, prend une revanche cruelle, et on paie en même temps pour la réalité nouvelle et pour la vieille illusion. M. Ernest Feydeau, je le crains bien, va faire ce petit compte. C’est avec Daniel qu’il va payer son succès de Fanny, et je crois qu’il le paiera cher.

C’est qu’aussi le succès de Fanny a été par trop grand ! Il a été presque incroyable. Rien ne lui a manqué, rien, si ce n’est la proportion avec le véritable mérite et du livre et de l’écrivain. Le premier roman de M. Ernest Feydeau révélait du talent, sans doute, mais ce talent n’était pas tel qu’il pût étonner. Il n’était nullement difficile d’en prendre la mesure avec sang-froid, et pour notre part nous la prîmes un des premiers… Ce n’était pas, en effet, un de ces talents qui semblent tomber du ciel, tant ils sont inattendus : nous en connaissions la famille… L’idée du livre, qui valait mieux que le livre, était heureuse,