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fois et on le déteste. On voudrait toujours l’aimer, mais tout à coup, après une beauté incontestable qui vous a ravi et qu’on lui doit, il vous replonge dans la haine et dans la colère par des choses exécrables ou ridicules d’inspiration et même de forme, eton tombe, plein de ressentiment, de l’hypogriffe aux longues ailes bleues ouvertes en plein ciel, sur le dos du plus affreux casse-cou !…

Ces chûtes, dans quel livre de lui ne les fait-on pas ?… La Légende des Siècles que voici est pleine de ces chûtes qu’on partage avec l’auteur, quand il les fait. Il y a, dans cette Légende, des passages d’une grande magnificence, mais il n’y a pas une pièce (je dis : une seule, ) d’une beauté soutenue jusqu’à la fin, et il y en a quelques-unes (la Ville disparue) où l’on ne compte pas plus de six beaux vers. Cet énumérateur qu’on appelle Victor Hugo ne se contente pas de jeter au moule de son vers quelque bonne pensée, et de passer fièrement outre pour recommencer et en jeter une autre dans le creuset brûlant et insatiable. Non ! Quand il en a une (comme dans la Colère du bronze), il revient sur elle ; il la reprend ; il la piétine ; il reste, sans bouger d’un seul pas, sur cette pensée, parce qu’il. ne peut pas aller à une autre. Et, affaibli, il l’affaiblit… On reste là quand on ne peut plus marcher, mais on fait le mouvement de marcher encore I

Et faut-il m’excuserde cette idée d’affaiblissement ?… Je n’ai point l’admiration à clos yeux de ceux-là qui