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mais il n’avait pas à mettre son pied dans l’anneau d’or qui enchaîne ordinairement les poètes, ces forçats divins ! U Iliade et l’Odyssée ont leur unité, et elle est même si profonde qu’elle est la plus déconcertante réplique que l’on puisse faire aux anarchiques rêveurs qui affirment l’existence de plusieurs Homères. Dante lui-même, quoique son poème embrasse trois sphères différentes, a l’unité de son grand cadre, circonscrit malgré sa grandeur. Tous les poètes faiseurs d’épopées sont les glorieux captifs d’une idée première, s’écartant, comme les rayons d’un cercle, mais s’arrétant, comme les rayons du cercle, à une limite impérieuse et précise… Or, par un choix exceptionnel, le poète de la Légende des Siècles n’était pas obligé à l’unité grandiose et tyrannique des autres poètes. A lui, son sujet n’était point une place ou un fait déterminé de l’Histoire. C’était toute l’Histoire ouverte à l’imagination du poète, qui plane sur tout, s’abat sur tout, et va librement et impétueusement où il a fantaisie ou volonté d’aller ! Le poète de la Légende des Siècles avait à lui toutes les légendes, c’est-à-dire l’Histoire ondoyante, incertaine, indémontrable, mais apparente quoique mystérieuse, nuée des mille reflets de l’arc-en-ciel, colorée de soleil ou de foudre, veloutée sous l’estompe bleue de la distance ou sous l’estompe noire du temps. Victor Hugo pouvait se jouer dans tout cela comme Ariel dans les nuages, mais Ariel, oubliant ses ailes, s’est accroupi