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circonscrit et protestantisé ; car le protestantisme circonscrit, quand il ne la châtre pas, toute poe’sie. 11 éteindrait sur la lèvre même d’Isaïe le charbon ardent. A ne le prendre que comme poète, Agrippa d*Aubigné aurait gagné à être un catholique. Ligueur, il eût été incomparablement un poète plus puissant et plusbeau. Dans les Tragiques, il n’y a plus qu’un satyrique, frappant toujours à la même place, comme un cyclope, de son formidable marteau. Il n’y a plus qu’une des faces de cet homme qui en avait trois comme Hécate. Il n’y a plus qu’une corde de la lyre, — la corde d’airain ou de fer, mais, après tout, une seule corde de l’instrument qui en a sept, — tandis qu’en ce troisième volume il y a toutes les faces de d’Aubigné, toutes les cordes de sa lyre, toutes les palpitations de son âme, de sa vie, — plus poétique encore que son âme ! En ce troisième volume, c’est tout Agrippa d’Aubigné ressuscité et mis debout de pied en cap, c’est l’Agrippa dont la Critique peut prendre exactement la mesure, l’Agrippa hors de ces ombres propices qui allongent les hommes et les statues en des contours tremblants et incertains, et replacé dans la lumière, la stricte lumière qui les raccourcit mais qui les dessine, qui les étreint, comme un collant, de sa clarté. C’est enfin le d’Aubigné qu’on peut maintenant toiser d’une main sûre. Avant ce troisième volume, on ne le pouvait pas.