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placés entre une injustice et une réaction contre cette injustice, équilibre difficile à garder, et il l’est pour des raisons qui ne sont pas la difficulté de tout équilibre. On n’a pas tous les jours à juger un homme de la personnalité d’Agrippa. Indépendamment de sa valeur poétique, qu’il ne faut pas outrepasser, mais qu’il ne faut pas diminuer non plus, d’Aubigné, ce poète guerrier, ce poète d’action, à l’antipode du rêveur que sont tous les autres poètes, a dans ses vers comme dans sa vie un charme de violence irrésistible. Toutes les fois qu’il est inspiré, il emporte l’âme de son lecteur comme il eût fait une barricade… On dit gaiement : « C’est un brave à trois poils ! » Il est, lui, un brave à trois âmes. Il en a trois comme on en a une : il a une âme militaire, une âme religieuse, et une âme de poète. Il faut, a dit Virgile, trois rayons tordus pour faire la foudre. Voilà, dans d’Aubigné, les trois rayons ! Et il a aussi dans sa poésie bien des choses qui ressemblent à la foudre. Mais y en a-t-il assez pour être plus que des zig-zags de feu qui passent, et pour former l’étoffe de ce tonnerre, qui est le génie, et qui, de sa puissance continue, emplit tout le cintre du ciel ?…