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arrêté au passage tous les petits papiers qui s’en allaient silencieusement à l’oubli, sortira-t-il un Agrippa d’Aubigné plus grand que l’entre-aperçu des Tragiques, d’un si vif éclair dans sa nuit ?… Il y a, je ne sais où, un adorable conte d’une bergère qui a trouvé un os de femme qu’elle prend pour un ivoire et qu’elle dole avec son couteau pour voir ce que c’est, quand, tout à coup, voilà que l’os se met à chanter mélodieusement qu’il est celui d’une pauvre femme assassinée. L’oubli, c’est l’assassin de nos mémoires ! Les vers oubliés et retrouvés d’Agrippa d’Aubigné ont-ils ehanté aux éditeurs, à mesure qu’ils les retrouvaient, une pareille mélodie ?… Toujours est-il que les éditeurs qui les ont retrouvés ont mis l’Histoire littéraire et la Critique à même dejuger un homme seulement entrevu parla postérité, et sur lequel la Gloire, cette ignorante bâtarde de tout le monde, s’était tue longtemps — comme elle va parler — sans trop savoir pourquoi. La Gloire ! Il s’agit de jauger celle à laquelle Agrippa d’Aubigné a droit. Il s’agit d’apprécier ce qui lui revient de cette denrée d’outre-tombe. Nous avons à présent tous les écrits de ce gantelet de fer. Nous avons tous les os de cette grande anatomie qui s’appelait Agrippa d’Aubigné. Il ne s’agit plus que de savoir si le souffle de la Critique fera ce que fit le souffle du Prophète, et communiquera à ces ossements assez de vie dans la Gloire pour devenir une Immortalité. Toute la question est là maintenant. Nous sommes