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être la première : — sa gloire de poète lyrique, du plus puissant poète lyrique que certainement ait eu la France avant Lamartine et Hugo (le Hugo des Châtiments) et qui n’eut besoin que de trois ou quatre ïambes, mais de quel emportement I de quelle fureur sainte ! de quelle mordante amertume ! pour montrer la puissance dont Dieu l’avait doué. On n’a pas besoin des douze travaux d’Hercule pour prouver que l’on est Hercule. Il suffit d’avoir, au berceau, étouffé des serpents, et André Chénier, dès le berceau de sa poésie lyrique, en a étouffé… Supposez que cette tête rêveuse de pasteur grec n’eût pas été tranchée par l’un des derniers coups de la guillotine de Thermidor, et qu’André Chénier, mort à trente et un ans, eût échappé à l’échafaud et eût pu répandre dans des vers plus nombreux, dans des pièces de plus longue haleine, la masse d’indignation et d’horreur qui s’était entassée en lui, et qui aurait fait, en ces vers vengeurs, avalanche, la littérature n’aurait peut-être pas, en poésie, d’œuvre plus belle ! Seulement, et je parle à ceux qui sont poètes en quelque degré, si l’œuvre avait été plus belle, le poète, privé de la poésie de sa mort sanglante, aurait assurément été moins beau…