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III

Ce sont ces ïambes, d’ailleurs, — précisément parce que le plus grand sentiment de l’âme humaine (le sentiment religieux) y vibre d’une étrange puissance, — que je regarde comme la plus belle partie des œuvres poétiques de Chénier. Je n’ignore pas que ce que j’écris là est contraire à la donnée commune de la Critique, mais ce n’est point une raison pour moi de ne pas risquer mon opinion. C’est le caractère grec de la poésie d’André Chénier qui a fait tout de suite sa gloire. Les païens modernes, qui sont partout, se sont particulièrement épris de ce tour de force et de souplesse d’André, se faisant Grec du temps de Périclès, à la fin du xviiie siècle, comme Chatterton, le seul analogue de Chénier dans l’histoire littéraire, s’était déjà fait du Moyen Age, avec un talent peutêtre égal. On ne vit d’abord que cela dans André. On ne vit dans son œuvre et on n’admira que la vie grecque, évoquée et ressuscitée avec une précision de contour et une délicatesse de coloris incomparables. Ce fut un enchantement. L’’Aveugle (Homère), le Mendiant (Lycus), la partie de l’œuvre intitulée les Eglogues,