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que s’il avait atteint la frénésie de sondisque flamboyant à midi, tient de son destin cette fortune de ne nous apparaître qu’à travers trois ou quatre chefs-d’œuvre absolus capables à eux seuls d’immortaliser un homme, et les mœnia interrupta du génie arraché brutalement à son œuvre par une mort sanglante. Il a lapoésie de cette mort par-dessus la poésie de sa poésie. A ce qu’il me semble, cela suffisait bien ! Mais on n’a pas trouvé que ce fût assez, et on nous a raconté sa vie, et on nous a donné le dessous de cartes de ses travaux, l’envers et le déshabillé de son œuvre, — ce qui va nuire à son effet et en diminuer la magie."

Trop de zèle toujours, comme disait Talleyrand. Cette vie, d’ailleurs, valait-elle la peine d’être racontée ?… Otez ce coup de guillotine, luisant, maintenant, pour jamais, sur cette tête de Chénier qui renvoie à la guillotine sa lumière ; ôtez le mot immortel : « J’avais quelque chose là », et tout est dit pour l’éternité ; vous n’avez plus rien à raconter. Le reste de la vie d’André n’est plus qu’une vie littéraire et nous ne savons que trop ce que c’est qu’une vie littéraire, le reste n’est qu’une existence de gratte-papier et de journaliste ; car il le fut, et il n’y a pas là de quoi faire rêver. Voyons ! que nous importe le niais girondinisme d’André Chénier ? que nous importe son ivresse de liberté ? puisqu’il n’échappa pas à l’ivresse de cet horrible spiritueux de son temps, qui jeta par terre les esprits les plus fermes quand elle ne les jeta pas sous le couteau…