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il avait plus l’habitude d’en tomber que d’en descendre, — il portait dans toutes les relations de la vie le charme de son génie bonhomme. Il fut recherché, choyé, adoré par les plus hautes sociétés de son temps. Il était, lui, le pauvre, le luxe de ces gens riches ; car, dans ce temps-là, les gens riches faisaient cas du génie, et personne ne fut plus peut-être agréé et aimé des femmes que cet homme qui mettait ses bas à l’envers… Les témoignages sur ce point abondent, et le pudibond Walckenaer en a des rougeurs qui surprennent de traverser ainsi son vieux maroquin. Quoi d’étonnant, du. reste, que les femmes, auxquelles il adressa les flatteries les plus enivrantes que jamais oreille de femme ait bues, aient raffolé de ce roi du madrigal voluptueux et naïf, qui a l’art de n’y pas toucher ou de n’y toucher que bien peu. Il avait ce qu’on pourrait appeler la galanterie amoureuse, mais fut-il jamais amoureux en réalité, La Fontaine ? Les Philis et les Jeannetons de ses vers me troublent moins que Walckenaer. Mais le désir, le terrible désir, secoua-t-il jamais cette nature idéale et rêveuse ?… Versa-t-il jamais des larmes brûlantes ?… La passion lui plantat-elle ses flèches dans l’âme ?… On apeineà concevoir La Fontaine amoureux comme Werther et SaintPreux, en supposant que Werther et Saint-Preux soient des types d’amoureux, comme l’Opinion les fait, la bête ! C’était un homme plutôt à laisser là même les bonnes fortunes commencées, pour rentrer plus vite